La France doit se préparer à une explosion des défaillances d’entreprise en 2023 selon la Banque de France. Une situation qui touche également les PME et ETI cotées en bourse, alors que la réglementation et une aversion au risque de plus en plus importante de la part des investisseurs compliquent leur accès au crédit, et donc leurs capacités d’innovation.

La demande en prêts des entreprises auprès des banques est à son plus bas niveau depuis 2003, selon la Banque centrale européenne (BCE). Une chute colossale et inquiétante, qui s’explique avant tout par la hausse des taux et une période maussade pour l’économie en général. Mais elle traduit aussi des problèmes plus structurels pour beaucoup d’entreprises dans leur relation avec les banques, comme en témoigne Alexandre Borgoltz, directeur d’une PME cotée spécialisée dans les bornes de recharge pour véhicule électrique et dont l’activité, jugée trop risquée par les acteurs bancaires, lui a valu de nombreux refus : « Quand vous êtes une PME qui traverse trois ans “dans le rouge”, il n’y a plus aucune banque pour vous soutenir », explique-t-il.  En clair, une certaine aversion au risque, qui dissuaderait les banques de prêter aux entreprises innovantes, alors même que les pays européens ont un très fort besoin d’innovation technologique pour conjurer la récession.

Pas de croissance sans innovation… et pas d’innovation sans risque

Pour l’économiste Philippe Aghion, « l’innovation est le moteur de la croissance dans les économies développées ». Et de rappeler à ce titre la théorie de la destruction créatrice, chère à Schumpeter, selon laquelle, dans les sociétés capitalistes, l’apparition d’innovations majeures (le train à vapeur, la Ford T, les microprocesseurs…), modifie en profondeur les structures de l’économie. « Le risque est créateur de valeur », renchérit Philippe Villemus, professeur-chercheur à la Montpellier Business School. « Le progrès humain, économique et social est lié à la prise de risque ».

Mais innover est toujours incertain, qu’il s’agisse du succès technique de la démarche ou du succès commercial auprès des clients ; un état de fait d’autant plus juste quand il est contraint par les délais de court terme requis par les institutions bancaires. Or, comme le souligne Marie Coris, chercheuse spécialisée en économie de l’innovation, ces dernières ont malgré tout un rôle fondamental dans le processus d’innovation, puisque celui-ci ne peut aller de l’avant qu’à la condition que les entreprises soient « alimentées en crédit », c’est-à-dire par les banques, à qui échoie le rôle fondamental de financer le risque, partageant en quelque sorte la responsabilité de l’innovation avec les entrepreneurs.

Malheureusement, trop souvent, les acteurs bancaires, frileux depuis la crise des « subprimes », voient d’un mauvais œil les jeunes pousses à l’avenir trop incertain, qui demandent d’ailleurs de moins en moins de crédits à cause de la hausse des taux (+4 % sur un an en juillet 2023). « En cas de difficultés économiques, les établissements de crédit ne vont financer qu’à reculons votre TPE ou PME », regrette Germain Simoneau, fondateur d’Isodev, firme spécialisée dans les prêts participatifs. « Même les politiques les plus généreuses ne sauraient venir à bout de la méfiance des groupes bancaires vis-à-vis des crédits risqués ». Une situation qui concerne tout particulièrement les PME et ETI cotées, qui ont souvent du mal à trouver des financements.

Quand les banques disent « non »

On les appelle les « small & mids caps », ce sont des petites et moyennes structures dont la capitalisation boursière est comprise entre quelques dizaines de millions et 1 milliard d’euros. En Europe, elles évoluent principalement sur Euronext ou Euronext Growth.

Elles sont surtout actives dans les nouvelles technologies, notamment médicales (MedTech, BioTech) ou dans l’industrie de pointe, et toutes ces entreprises ont autant de besoins de trésorerie qu’elles ont de projets innovants et… incertains. De plus, s’il concerne les sociétés, leurs dirigeants, leurs salariés et leurs actionnaires, leur succès s’étend plus largement à tout l’écosystème de l’économie réelle dans lequel elles s’insèrent : foyers qu’elles font vivre, emplois indirects créés, sous-traitants, infrastructures… Ces structures sont d’ailleurs un des principaux « moteurs de la création d’emplois » dans les économies développées, selon le Bureau international du travail (BIT). Autant d’externalités positives potentielles qui n’apparaissent pas dans les bilans comptables, et qu’un éventuel refus des banques peut tuer dans l’œuf.

De fait, comme le pointe Pierre Vannineuse, dirigeant d’Alpha Blue Ocean (ABO), société financière spécialisée dans le financement de ce type d’entreprise, « les ETI cotées souffrent d’un réel déficit de solutions à l’heure de trouver des financements ». Selon lui, « les banques ne comprennent pas le sous-jacent », et refusent donc de les financer.

De plus, dans certaines situations, la législation rend presque impossible l’obtention d’un prêt bancaire. « La réglementation bancaire impose aux banquiers, pour des sociétés qui sortent d’un redressement judiciaire, une mobilisation de fonds propres égale à 100 % des montants prêtés. La rémunération de ces fonds propres devient donc impossible », détaille Jérôme Garnache, PDG d’Europlasma, entreprise qui a justement pâti de telles dispositions.

Côté bourse, l’émission de nouvelles actions doit être approuvée en assemblée générale. Or, en fonction de la conjoncture et des rapports de force au sein de l’AG, cette solution n’est pas toujours celle qui emporte la décision. Dans ces conditions, les entreprises peuvent se tourner vers des formes de financement dites « alternatives », en plein essor depuis une décennie.

La finance alternative au secours de l’économie ?

Si la crise financière de 2008 a rendu les banques plus frileuses, elle a aussi entraîné une méfiance historique dans le sens inverse. Les acteurs de la finance traditionnelle sont, en effet, souvent accusés de privilégier le profit de court terme, au moyen d’instruments spéculatifs, et au détriment de l’économie réelle. C’est une des raisons qui explique l’émergence et la croissance de la « finance alternative », qui aurait même « de beaux jours devant elle » selon Pierre Vannineuse, comme en témoigne le dernier baromètre publié par Mazars sur le sujet. Le financement participatif (crowdfunding) représente, à lui seul, 2 milliards d’euros en France.

En termes de financement participatif en investissement (environ 146 millions d’euros collectés pour la seule année 2022), les MedTech et les nouvelles technologies du numérique sont très bien représentées. Les volumes collectés en crowdfunding en France ont d’ailleurs été multipliés par 14 depuis 2015.

Ces chiffres suivent la tendance de la finance alternative au niveau global. Hors Chine, en 2018, le volume du marché mondial de la finance alternative a augmenté de 48 %, passant de 60 milliards de dollars en 2017 à 89 milliards. En 2015, ce marché ne représentait que 44 milliards.

Les obligations convertibles, un investissement dans l’économie réelle

De leur côté, les sociétés introduites en bourse ont accès à une autre classe d’actifs qui peut être pertinente, à savoir les obligations convertibles en action (OCA).

Celles-ci combinent la sécurité d’un financement obligataire avec la possibilité de convertir ces obligations en actions dans la société. Elles sont particulièrement utiles aux ETI cotées confrontées aux manques de financement décrits plus hauts, et souvent concomitant avec des étapes importantes de leur développement.

Alpha Blue Ocean a ainsi apporté sous la forme d’OCA un financement important de 2 millions d’euros au groupe français Vergnet, expert dans la production d’énergies renouvelables (ENR). Celui-ci, coté sur Euronext Growth, avait un besoin impérieux de fonds pour sortir la tête de l’eau et se focaliser sur un « plan stratégique réaliste et pérenne », alors qu’il accusait d’importantes pertes causées par la pandémie et l’inflation des prix des composants.

Mais, avec un retour sur investissement trop lointain, et donc incompatible avec les attentes des banques, le groupe peinait à trouver des investissements. Un comble pour cette entreprise bien installée et qui emploie près de 250 personnes, qui plus est spécialisée dans un secteur d’avenir — les ENR, alors que le chef de l’État lui-même rappelait récemment la nécessité d’aller « deux fois plus vite » en France dans ce secteur.

Ce cas particulier illustre du reste la philosophie des financements alternatifs : si les obligations convertibles peuvent être perçues comme des « solutions de la dernière chance », elles s’inscrivent en consonnance avec les préoccupations des entrepreneurs, le financeur s’associant à la prise de risque, dans la durée. « Nous investissons notre propre argent et nous nous engageons sur des durées très longues. La durée minimum de contrat chez ABO est de 24 mois », détaille Hugo Pingray, co-dirigeant d’ABO. Un « prisme très différent » de ceux des investisseurs traditionnels, qui semble être mieux adapté aux nécessités du tissu industriel et de l’économie réelle que les marchés financiers.

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